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- 03-10-2025
- Léna Laqueyrerie
- Julien M'Barki
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Recommandation éditoriale et artistes émergents : une étude des playlists éditorialisées sur Spotify
Une étude de la place accordée aux artistes émergents sur les services de streaming musicaux, à partir du catalogue de playlists éditoriales de Spotify.
L’abondance de titres sur les plateformes de streaming est une richesse indéniable : chacun peut y retrouver ses artistes favoris en quelques clics. Mais cette profusion a aussi son revers. Avec plus de 100 millions de morceaux disponibles sur Spotify, découvrir de nouveaux artistes peut vite relever du parcours du combattant.
Pour pallier ce problème, divers outils de recommandation ont été développés. Parmi eux, les playlists éditoriales, accessibles directement sur les services de streaming et conçues par des équipes de curateurs qui sélectionnent les musiques qu’ils souhaitent y inclure. Ces playlists peuvent être gérées directement par la plateforme, mais d’autres acteurs du secteur, comme les majors proposent également des playlists de leurs propres sélections.
Nous nous intéressons au rôle des playlists éditoriales dans la mise en avant des artistes émergents. Nous considérons qu’un artiste est émergent si son premier titre a été publié il y a deux ans ou moins. Au-delà de ce niveau d’ancienneté, nous le considérons comme un artiste établi. L’objectif est ainsi de déceler dans quelle mesure les playlists éditorialisées permettent aux utilisateurs des plateformes de découvrir de nouveaux artistes.
Méthode
Nous avons suivi les playlists éditorialisées par Spotify France, ainsi que celles gérées par Warner (Topsify) et Universal (Digster). Parmi toutes les playlists disponibles, nous avons sélectionné celles qui étaient à la fois les plus populaires et les plus régulièrement mises à jour. Cela nous a conduit à travailler sur les playlists suivantes :
- Spotify France : 40 playlists, 14 610 artistes, 28 000 morceaux
- Warner : 17 playlists, 3 000 artistes, 4 900 morceaux
- Universal : 32 playlists, 6 500 artistes, 10 500 morceaux
Nous avons récolté le contenu de ces playlists sur trois ans, de septembre 2021 à octobre 2024. De cette façon, chaque observation correspond à la présence d’un morceau dans une playlist un jour donné.
Présence et visibilité des artistes émergents dans les playlists
Les artistes émergents représentent une part très minoritaire des titres proposés dans les playlists et cette part a diminué de 2021 à 2024
Part des artistes émergents |
Acteur | 2021 | 2024 | Ensemble de la période |
---|---|---|---|---|
|
8.38% | 4.60% | 5.65% | |
|
7.10% | 4% | 4.14% | |
|
2.29% | 1.81% | 2.64% |
Les artistes émergents sont très minoritaires sur les playlists éditoriales (Figure 1). Sur les playlists de Spotify, ils occupent sur l’ensemble de notre période d’étude, 5,6% des emplacements disponibles, et cette part diminue au fil du temps : elle approchait les 9% en 2021, mais tombe sous les 5% en 2024. Nous retrouvons la même tendance chez Universal, où la part d’émergents passe de 7% à 4% en trois ans. Chez Warner, leur présence demeure encore plus faible, autour de 2–3%, avec une brève poussée en 2022.

Une visibilité moindre des émergents dans les playlists
Par ailleurs, toutes les inclusions en playlists ne se valent pas en termes de visibilité offerte : la popularité de la playlist, la position du morceau dans la liste (haut ou bas), ainsi que la durée de présence influencent fortement les chances qu’un titre soit effectivement écouté. Sur ces trois axes, les artistes émergents bénéficient d’une moins bonne qualité de visibilité que les établis.
- Les morceaux d’artistes émergents restent en moyenne moins longtemps dans les playlists que ceux des établis (par ex. 44 jours contre 51 sur Spotify).
- Ils sont souvent placés plus bas dans la liste (32ème position médiane contre 22ème pour les établis), ce qui réduit leur exposition.
- Enfin, ils apparaissent plus rarement dans les playlists les plus suivies : un morceau émergent est intégré dans des playlists comptant en moyenne 326 000 abonnés, contre 363 000 pour un artiste établi.
Effet sur les streams de la présence d’un titre dans les playlists
En valeur relative, un effet similaire pour les émergents et établis
L’application d’un modèle1 nous permet d’observer que l’augmentation d’écoutes permise par l’inclusion en playlist est en proportion similaire pour les artistes émergents et les établis.
Sur les 18 jours suivants la mise en playlists les streams sont 20% plus élevés que le jour précédant la mise en playlist, pour les artistes établis.
Par ailleurs, l’effet observé sur les artistes émergents n’est pas significativement différent de celui des établis : en proportion, être mis en playlist leur fait bénéficier de la même croissance de leurs écoutes que les établis.
En valeur absolue, un effet supérieur pour les établis
Ce résultat de bénéfice semblable pour les émergents et pour les établis doit être nuancé. Avant leur ajout en playlist, les artistes émergents enregistrent en moyenne moins d’écoutes que les artistes établis. Ainsi, même si la hausse relative de leurs streams est comparable, elle se traduit mécaniquement par un volume d’écoutes supplémentaire plus faible.
À titre d’illustration, prenons deux artistes aux profils différents (Figures 2 et 3) : Yoa, encore émergente au moment de notre observation, et Zaz, déjà établie. Toutes deux ont vu l’un de leurs titres intégrés dans des playlists. Dans les deux cas, nous constatons une hausse des streams à partir du moment de la mise en playlist (signalée par la ligne rouge), avec une tendance de croissance plus marquée qu’avant cette inclusion. Dix jours après l’ajout en playlist, les deux morceaux présentent des taux de croissance comparables : +23% pour Yoa et +25% pour Zaz.


Cependant, comme les artistes émergents et établis ne partent pas des mêmes niveaux de streams, ceci influence directement les volumes générés. Ici, l’effet de la playlist profite aux deux, mais à des niveaux très différents : le morceau de Yoa gagne 4 711 streams supplémentaires en 10 jours, contre 172 824 pour Zaz, soit un écart de près de 168 000 streams.
Si les écarts de volumes de streams peuvent apparaître comme abstraits, il ne faut pas oublier que cette différence correspond, in fine, à une disparité de revenus réels. Ainsi, le gain financier permis par une inclusion en playlist tend à être davantage conséquent pour les établis, par comparaison aux émergents.
Capitaliser sur la notoriété des établis pour rendre les playlists plus attractives : le biais de popularité dans la recommandation éditoriale
Les choix éditoriaux observés mettent donc davantage en lumière les artistes établis que les émergents. Cela traduit une stratégie des curateurs : capitaliser sur la notoriété existante et sur le biais de popularité des auditeurs, enclins à écouter ce que d’autres écoutent déjà. Ce positionnement vise à garantir l’attractivité des playlists et à maximiser leur audience. Mais il introduit aussi un biais de recommandation : la visibilité offerte est différente, et les artistes émergents ne profitent pas des mêmes retombées que leurs homologues confirmés.
Conclusion
L’inclusion dans les playlists éditoriales d’artistes émergents, comme d’artistes établis a donc un effet notable, immédiat et positif sur leurs streams.
Mais comparativement aux établis, l’effet en valeur absolue est largement supérieur pour les établis, ce qui contribue à faire de la recommandation éditoriale un outil d’accentuation de la différence de popularité entre émergents et établis.
Notes
- ↑
Basé sur une event study permettant d’isoler l’impact de l’inclusion en playlist sur les streams, en comparant les gains pour les émergents et ceux pour les établis.