Parler des métavers dans l’espace public : la place particulière des podcasts

Cet article reprend les grandes lignes d'une intervention au colloque international "The native podcast, understanding its developement, questionning its future", organisé par l'Obcast avec le soutien de la DGMIC.

Le phénomène du métavers a agité l’espace politico-médiatique ; l’utilisation du terme a explosé en 2021 lorsque Facebook se l’est approprié en en faisant un élément central de sa stratégie entreprise, ce qui a déclenché un grand nombre d’articles dans les médias et des prises de parole sur les réseaux socionumériques. Le traitement médiatique, homogène et convenu s’est limité à un discours soit techno prophétique peu informé, soit à une dénonciation du capitalisme des plateformes. Ne sont sorties de cette vision binaire que quelques rubriques technologiques dans les médias ou des sites spécialisés.

On pouvait penser que le métavers qui nourrit l’imaginaire, invente un monde dit nouveau, explore les possibilités de l’ubiquité, de l’omniprésence, de l’uchronie, se prête particulièrement au format en podcast. En effet, ce nouveau format présente des caractéristiques qui pouvait lui permettre un traitement particulier de ce concept émergent peu ou mal traité dans les médias : il n’est pas inséré dans une grille horaire aussi structurante que celle de la radio, a plus de souplesse pour la durée des interventions, moins de contraintes de programmation, plus de liberté dans l’écriture des épisodes. Comment donc les podcasts abordent-ils ce phénomène ? Comme on le verra, les émissions illustrent la rencontre entre un format aux frontières larges (le podcast) et une notion aux contours étendus (le métavers) ; pour cela ils couvrent toute la gamme des positions, de la plus critique à la plus apologique.

Construire une cartographie du terme métavers dans l’espace public

Nous présentons ici les premiers résultats d’un travail en cours qui étudie la circulation du phénomène métavers dans l’espace public en France, soit les prises de parole et de positions dans les champs médiatiques, politiques et scientifiques, et cela en ligne et hors ligne. Cette cartographie a pour ambition d’identifier les acteurs impliqués dans le sujet, de suivre les différentes acceptions que recouvrent le terme, de saisir le réseau des acteurs avec leurs interactions et échanges, grâce à une analyse des contenus qui se saisissent du sujet. Il s’agit aussi de comprendre quelles interprétations du métavers font autorité.

Ce corpus est, pour l’heure, composé de 17 000 documents numériques (émissions de radio et télévision, articles académiques, livres spécialisés, rapports, tweets, articles de presse, podcasts et vidéos YouTube) contenant le mot-clé « métavers » ; tous ont été réduits au format texte, en français. Le corpus débute lorsque le mot apparaît (en 2007) et s’arrête en avril 2023. Twitter, avec un corpus de 12 915 tweets, fourni par l’INALab, constitue pour ce travail un point de départ, en offrant des paroles plus spontanées et moins cadrées par le discours publicitaire des méga-entreprises du numérique. Ces tweets nous ont permis de repérer puis d’extraire un corpus de 125 épisodes de podcast. Ces émissions ont en commun le fait d’avoir circulé sur la plateforme de microblogging, suscitant des discussions entre internautes ou faisant l'objet d'une autopromotion. Nous avons traité à ce stade un sous-ensemble de podcasts natifs soit 72 épisodes émanant de 48 émissions. Un tiers des émissions émane des médias (médias spécialisés, presse écrite généraliste, journalistes indépendants) et un tiers d’émissions sont réalisées par des individus isolés (consultants, « évangélistes»,¹ amateurs). Le reste vient de collectifs professionnels du monde des finances (agences de développement, assurances, comptables ou banques) et des studios/collectifs/label de podcast (Binge Audio, Choses à Savoir, Stratégie Podcast).

Un univers thématique varié

Comme les autres médias, les podcasts consacrés au métavers traitent du phénomène en couvrant toute la gamme des positions sur l'impact du métavers, de la plus critique à la plus apologique. Cependant les podcasts le font dans un univers thématique pluriel, en accordant davantage de place à l’anticipation, et en diversifiant les formats narratifs. En comparant les discours des podcasts avec ceux des radios², on voit que les émissions de radio abordent le sujet très majoritairement par son aspect économique : 60 % proviennent d’ailleurs de BFM La radio de l'éco. Dans le podcast, le sujet baigne dans des univers pluriels : de la science-fiction (C'est plus que de la SF), du gaming (Game as Podcast, Culture G), du marketing d’influence (Influence Corner) et de l’actualité numérique (Monde Numérique, Nouveaux Médias, Génération Alpha).

Des discours prospectifs et inventifs

Les émissions de podcast sont les seules à valoriser des discours prospectifs, d’anticipation, à stimuler la capacité des invités à imaginer, à narrer un futur et à explorer des possibilités qui ne sont pas encore tangibles. Or, les processus d’innovation s’appuient en premier lieu sur la production de récits. Jens Beckert³ appelle « anticipations fictionnelles » le fait de présenter les innovations techniques comme désirables et inévitables et la capacité des marchés financiers à s’appuyer sur ces éléments pour construire de la valeur. Invités et animateurs prédisent, par intuition ou conjecture, des usages qui pourraient avoir lieu dans un avenir proche. Au sein du paysage médiatique où les discussions sur ce sujet cherchent à susciter l’adhésion par la preuve - on ne croit qu'après en avoir vu - le podcast se confronte à l'incrédulité, en offrant une diversité de perspectives sur le sujet, le rendant tangible à travers la description, le débat et l'inventivité, élargissant ainsi davantage le spectre des définitions possibles. Sans doute cette plus grande inventivité est-elle rendue possible parce que le podcast est moins contraint par le flux et les organisations médiatiques.

Des formats narratifs diversifiés

Parmi les formats mobilisés, on note la présence importante de la « conversation » (54 des 72 émissions sont au format talk-show), formule usuelle du podcast où des invités dialoguent, répondent à des questions, et réagissent aux remarques des animateurs.

D’autres formats sont également mobilisés. On trouve aussi, même si c’est rare, un format jamais utilisé par les autres médias : la fiction. À la radio, on trouve des chroniques⁴ qui adoptent un ton humoristique, voire moqueur, mais elles restent soumises à l’actualité des géants du numérique et de leurs patrons. Le podcast #Unfollow propose, lui, d’embarquer ses auditeurs dans un univers sonore : dans un monde où le droit de vote a été “ubérisé”, le public est invité à suivre une jeune influenceuse de 25 ans, aux millions d’abonnés, Louna LifeStyle, dont le destin s'apprête à basculer, à quelques semaines de l’élection présidentielle de 2047.

La parole donnée aux nouveaux intermédiaires

De nouveaux intermédiaires émergent, que nous appelons « agent-conseils », qui jouent un rôle clé dans la diffusion et la légitimation des discours sur le métavers. Ces acteurs tels que conférenciers, consultants et entrepreneurs, utilisent le podcast pour se positionner en tant qu'experts des nouvelles technologies, partageant leur passion et leur expertise sur le sujet tout en cherchant à élargir leur réseau professionnel. Cette dynamique reflète une tendance plus large de faire appel à un plus grand nombre d'agents non spécialisés dans l'espace public pour trouver des solutions aux problèmes liés à la transition numérique. Ces agent-conseils viennent exposer ce qu’est pour eux et ce que sera le métavers, ils veulent se positionner en tant que « facilitateurs », en donnant au public « les clefs pour bien comprendre l’impact » d’une réalité complexe et mouvante, dont ils se font les initiateurs, sinon les apôtres.

Le caractère multiplateformes des objets numériques

La consommation du contenu des podcasts sur le métavers ne se limite pas aux plateformes d'écoute. Sans doute cela est-il en partie lié au fait que le métavers est un dispositif technologique dont les composantes visuelles sont centrales (représentation dans et de l’espace) et difficiles à transmettre par le son. Les discours podcastés sur le métavers circulent dans plusieurs espaces et sont déclinés en différents formats tels que des sites ou blogs (Monde Numérique, Siècle Digital, Les News Du Futur, Influence Corner,), des chaînes YouTube (Culture G, Génération Alpha), des newsletters (NFT Morning, Le nouvel Esprit Public), sans compter les comptes et profils sur les plateformes de réseaux sociaux comme Twitter, Instagram, Facebook et LinkedIn. Par nature, le podcast n’est pas visuel, mais il n’existe pas “seul”, il fait appel à d’autres plateformes (comme Instagram ou YouTube), qui lui permettent de construire visuellement un univers esthétique. Ce caractère multiplateforme⁵ ne se présente pas uniquement comme du prosélytisme ; il fait de ces émissions une source et une ressource sur le sujet : en franchissant les limites des plateformes d'écoute, les podcasts alimentent des discussions, déclenchent des interactions et aident à formaliser une prise de parole sur un sujet en constante évolution et le faire circuler dans différents espaces.