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  • 05-07-2021
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Conversation avec Julie Knibbe

La technologie est devenue un levier indispensable permettant aux créateurs de nouer des relations avec leurs publics. Julie Knibbe nous livre son analyse de ce nouvel environnement.

Les équipes de la Chaire sollicitent régulièrement des universitaires et professionnels afin de recueillir leur point de vue sur l'actualité des secteurs de la culture et du numérique.

Cette semaine, nous interrogeons Julie Knibbe, spécialiste de l'industrie musicale et fondatrice de la société Music Tomorrow.

Quels sont les nouveaux canaux de communication permettant aux créateurs de communiquer avec leurs communautés ?

Dans les années 2010s, les créateurs ont pu établir une communication directe avec leur public via les réseaux sociaux, principalement Instagram, Facebook, et Twitter. Ces réseaux ont permis aux créateurs de se façonner une personnalité et une certaine image de marque dans le monde numérique, en contrepartie d’un temps certain passé à créer et entretenir cette identité.

Fatigués par cet exercice de style, aussi bien les créateurs que leur public ont été “désabusés” par ces feeds trop travaillés ou ces photos très filtrées, qui ne reflètent pas la réalité.

En réaction à cela, nous voyons émerger de nouvelles façons de communiquer avec le public:

  • D’une part, une communication plus spontanée, en utilisant par exemple les stories sur Instagram, ou les live streams sur Twitch. Moins de filtres, moins de travail, le quotidien des créateurs est reporté avec plus d’authenticité.
  • D’autre part, une communication volontairement plus éditée et travaillée sur TikTok ou avec les Reels sur Instagram. Avec ces vidéos courtes ayant un thème précis, on ne promet plus de rentrer dans l’intimité des créateurs, on illustre en 15 ou 30 secondes un moment éphémère.

De nouvelles plateformes plus communautaires prennent aussi le relais des réseaux sociaux en permettant aux artistes de partager d’autres sphères de leurs activités: partager leur processus de création en direct via Discord et/ou Twitch par exemple. De nombreux artistes créent leurs propres serveurs sur Discord, ce qui permet à leur audience d’interagir avec eux mais aussi entre membres de la communauté.

Existe-t-il un risque d'aliénation pour des créateurs qui ne souhaitent pas communiquer auprès de leurs fans ou qui ne possèdent pas les compétences numériques nécessaires ?

Bien sûr, avec plus de 60 000 titres distribués chaque jour sur les plateformes de streaming, la compétition pour l’attention du public est exigeante. Les artistes sont maintenant signés après avoir généré de l’attention autour de leur projet. Il est à leur charge de fédérer un public autour de leur identité artistique et d’utiliser les plateformes pertinentes par rapport à leur univers - un groupe d’indie pop ne va pas forcément utiliser les mêmes canaux de communication qu’un groupe de métal.

Quel que soit le mode d’expression choisi pour fédérer une communauté, ces plateformes valorisent la régularité et l’authenticité chez les créateurs, ce qui implique que la création de contenu et la communication devienne une composante essentielle de l’activité des artistes et/ou de leurs équipes. Les créateurs ne souhaitant pas communiquer ou ne possédant pas les compétences nécessaires pour le faire sont à un très large désavantage.

Avez-vous l'impression que la recommandation algorithmique proposée par les DSP peut favoriser la diversité des écoutes ?

C’est factuellement le cas. Il est dans leur intérêt de favoriser la diversité. Là où les magasins physiques n’ont qu’une tête de gondole pour mettre des produits en avant, les plateformes de streaming peuvent maintenant individualiser la proposition pour chaque utilisateur. Leurs algorithmes de recommandation ont pour objectif de faire la meilleure recommandation possible : plus l’utilisateur est satisfait, plus il sera enclin à rester sur la plateforme et à renouveler son abonnement.

Ce graphe fourni par Spotify1 ci-dessous illustre ce propos: plus un utilisateur fait des écoutes diversifiées, plus il va être susceptible de convertir vers une offre payante sur la plateforme.

Probability of converting from free to premium after one year as a function of July 2018 diversity. We use the generalist-specialist score (GS-score) as the diversity metric: Low GS-score = diverse listening, high GS-score = specialized listening.

Faire la meilleure proposition possible pour un utilisateur implique de comprendre :

  • ses goûts musicaux, en termes de genre, langue, style, énergie...
  • ses préférences, en termes de popularité, de nouveauté...

La diversité d’écoute est en général prise en compte comme composante parmi les préférences d’un utilisateur: certains “généralistes” vont écouter beaucoup de styles différents, d’autres “spécialistes” vont écouter un style et en découvrir tous les recoins. Quel que soit le profil, il n’est pas dans l’intérêt de la plateforme de streaming de faire converger les écoutes dans un sens qui ne correspondrait pas aux préférences de l’utilisateur.

L'équipe de la Chaire PcEn remercie chaleureusement Julie Knibbe pour ses réponses à nos questions.

Pour aller plus loin :

- Understanding music discovery algorithms – How to amplify an artist’s visibility across streaming platforms - Music Tomorrow, Julie Knibbe (2020)

- Understanding music rights data: the challenges of delivering timely royalty payments to artists - Water & Music, Julie Knibbe (2021)

Notes

  1. Anderson, A., Maystre, L., Anderson, I., Mehrotra, R., & Lalmas, M. (2020, avril 19). Algorithmic Effects on the Diversity of Consumption on Spotify. Proceedings of The Web Conference 2020. WWW ’20: The Web Conference 2020. Lien accessible.